A PROPOS DE L’AUTEUR
Didier Parenteau (1940 – X 60)
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AVANT PROPOS
Depuis de nombreuses années le chômage augmente inéluctablement. Il atteint maintenant plus de six millions d’individus si l’on inclue les différentes catégories de chômeurs y compris ceux que l’on a dispensés de recherche d’emploi. Or nous le verrons plus loin, les mesures proposées (qui sont souvent nécessaires ne serait-ce que pour des raisons économiques) ne feraient au mieux que ralentir sa progression sans jamais attaquer le noyau dur.
Voulons-nous vivre dans un pays où seulement une part de plus en plus réduite des citoyens auront accès à une activité salariée…et se verront prélever une part de plus en plus importante de leurs revenus pour que l’autre partie de la population « ne crève pas de faim » ? Proposer des solutions qui ne remettent pas en cause l’organisation actuelle du temps de travail reposant sur le nombre d’années de cotisation et l’horaire hebdomadaire conduit inéluctablement à cette perspective. Nous proposons ici une autre approche, certes difficile à mettre en œuvre, mais qui sera tôt ou tard inévitable.
Ce document ne traite que de l’activité salariée, qui concerne encore 90% de nos concitoyens. Certains pronostiquent la fin du salariat. Il est plus que probable que cette échéance n’est pas pour tout de suite et que le salariat restera encore pour longtemps et pour la grande majorité des hommes le moyen quasiment unique d’accès aux ressources, à la dignité, à l’émancipation et à l’intégration dans la société.
La raréfaction de l’activité salariée est une réalité que l’on observe depuis les débuts de l’ère industrielle dans tous les pays développés. Pour différentes raisons que nous développons elle s’est accélérée ces dernières années et il faut se préparer aux conséquences de cette raréfaction.
Le cas des travailleurs indépendants demandera une approche spécifique, mais relevant d’une démarche analogue.
Enfin, les analyses et les propositions faites concernent la situation particulière de la France. Celle-ci est plus grave que chez certains de nos voisins en raison de conditions sociales très favorables financées par la dette de l’Etat, de politiques sans courage, et de syndicats fossilisés ne représentant plus qu’eux-mêmes, arc-boutés sur les « avantages acquis », et obsédés par leur survie. Néanmoins le diagnostic et les solutions proposées concernent déjà ou concerneront tôt ou tard tous les pays développés.
PREMIERE PARTIE : Le chômage : situation et perspectives
Rappel des conséquences sociales et sociétales du chômage
Est-il besoin de les rappeler ? Nous le voyons tous les jours et les organismes humanitaires ont tous une analyse concordante : le nombre des pauvres et des exclus augmente inexorablement. Le chômage des jeunes n’a jamais été aussi élevé, ce qui est un ferment de révolution évident. Il ne faut pas chercher ailleurs l’origine de l’indifférence , voire du dégoût, des français (et en particulier des jeunes) pour la politique : aucun parti ou candidat à nos suffrages ne propose d’orientation cohérente et crédible permettant d’envisager une baisse suffisante et durable du chômage, même si tous prétendent évidemment donner la priorité à l’emploi. Charles de Gaulle aurait dit : il ne suffit pas de crier « l’emploi, l’emploi, l’emploi » » en sautant sur sa chaise pour arriver à un résultat….Endormir les français en jouant les pompiers quand la situation devient catastrophique ou en leur proposant des solutions complètement insuffisantes comme nous le verrons ne fait que repousser le problème. Plus nous attendrons, plus la solution sera douloureuse et le risque d’une véritable révolution sera grand.
Enfin le chômage des jeunes, et le sentiment de rejet de la société éprouvé par certains, font que beaucoup se tournent vers la violence, la délinquance et la drogue (comme consommateurs ou comme dealers). Il n’est pas non plus exclu que le djihadisme trouve là un terrain de recrutement fertile.
Or le travail rémunéré est un besoin essentiel de l’homme, et pas seulement comme générateur de ressources. Il est aussi un facteur fondamental de dignité, d’épanouissement, d’estime de soi et d’intégration dans la Société.
Dans ces conditions la seule orientation crédible est de bâtir un système sociétal qui permette à chacun d’accéder à une activité salariée, tout en ne nuisant pas aux performances économiques du pays. Les solutions proposées jusqu’à présent ont selon les orientations politiques deux objectifs : soit tenter de répartir équitablement les richesses produites sans trop se préoccuper de leur élaboration, soit augmenter celles-ci en favorisant les créateurs de richesses, donc les entreprises, sans trop se préoccuper de la répartition de cette richesse.
Pourquoi le licenciement est-il devenu un drame ?
Le licenciement est un acte normal de gestion, même s’il est toujours désagréable pour un employeur de se séparer de salariés avec qui il a tissé des liens, et qu’il a formés. Aucune entreprise n’est sûre de sa charge, qui dépend de nombreux facteurs que le chef d’entreprise ne maîtrise pas. Conserver à tout prix un personnel à qui on ne peut plus donner de travail est suicidaire. Dans un marché du travail équilibré, le licenciement n’est qu’un mauvais moment à passer pour le salarié qui doit pouvoir retrouver rapidement du travail. Les diverses indemnisations du chômage qui existent sont là pour permettre au salarié de franchir ce moment difficile sans trop de conséquences désagréables.
Dans un marché déséquilibré comme n, que la perspective de licenciements et de fermetures d’usines suscite de nombreuses manifestations et soit devenue la motivation de la majorité des actions syndicales.
Souvent on se réjouit lorsqu’une réduction d’effectif est réalisée par des mises à la retraite ou des départs volontaires. Pourtant , l’effet d’une suppression de poste sans licenciement est aussi négatif qu’un licenciement sur le plan global de l’emploi.
Les inconvénients souvent ignorés de la situation actuelle pour les entreprises et la Société
Certains pensent que la situation actuelle est, dans une certaine mesure, favorable aux entreprises : les candidatures nombreuses permettent de sélectionner les candidats les meilleurs, et la crainte de la perte de l’emploi stimule l’énergie des salariés. Dans la réalité, c’est exactement le contraire : cela pourrit le climat des entreprises, chacun cherchant à ouvrir un parapluie et surtout à ne rien entreprendre où un échec risquerait de conduire à un licenciement. Les salariés mécontents de leur travail ou de leur entreprise « s’incrustent » au lieu de rechercher une autre activité. D’où une mauvaise ambiance et une perte de dynamisme et d’innovation. De plus le chef d’entreprise reculant devant la complexité des démarches à faire pour licencier du personnel, risque de tarder à prendre une décision indispensable dont la non-exécution peut conduire l’entreprise à son déclin voire à sa perte. Dans la situation inverse et face à un développement potentiel d’activité, le chef d’entreprise tardera à décider d’embaucher tant qu’il n’est pas absolument sûr du succès, compte tenu des difficultés multiples qu’il aura si le développement prévu ne se confirme pas et qu’il doit se séparer de personnel. La stratégie des entreprises et leur dynamisme s’en trouvent fortement atteints, les responsables craignant les conséquences de l’échec éventuel d’un projet de développement. Ils craignent aussi que les politiques ne s’en mêlent (l’exemple récent de la fermeture de l’usine Alstom de Belfort le montre abondamment) et que des annonces de licenciement mises en exergue et amplifiées par les médias ne nuisent à l’image de leur société.
Nos législateurs, qui n’ont pour la plupart jamais exercé de responsabilités dans une entreprise, ont cru que rendre plus difficile les licenciements permettrait de « sauver » des emplois. Cela a entrainé une complexité croissante du code du travail et des procédures de licenciement. Voyant là une bonne raison de justifier leur existence, les syndicats se sont engouffrés dans la brèche et ont rivalisé de démagogie pour alourdir la réglementation et rendre plus coûteux les licenciements.
Le résultat est maintenant là : non seulement les emplois censés être protégés par la réglementation finissent toujours par être supprimés quand cela est nécessaire, mais les employeurs hésitent de plus en plus à créer des emplois pérennes, quand ils ne décident pas de transférer leur production sous des cieux plus cléments, à la réglementation moins contraignante. Dans tous les cas les conséquences sur le chômage sont très négatives.
Mais il y a aussi des inconvénients importants pour la Société : de nombreuses activités inutiles et souvent dangereuses pour la santé sont maintenues pour ne pas nuire à l’emploi. Certaines sont dangereuses pour la santé, alors on préfère fermer les yeux sur les risques. Les lobbys des grands groupes chimiques ou pharmaceutiques savent utiliser cet argument par exemple pour les pesticides ou les perturbateurs endocriniens) Pour assurer une charge à une usine qu’il serait logique de fermer pour des raisons économiques ou écologiques, on maintient l’activité, quitte à aller jusqu’à faire commander par l’état du matériel inutile. On n’hésite pas à maintenir des programmes de construction immobilière dans des zones touristiques déjà saturées, pour maintenir l’activité des artisans….
Les fausses explications du niveau actuel du chômage :
N’évoquons plus que pour mémoire « la crise » longtemps considérée comme responsable de l’accroissement du chômage. On a maintenant pris conscience que ce que l’on appelle crise est en fait une mutation irréversible, inéluctable et mondiale de l’économie. C’est la situation antérieure de forte croissance qui ne pouvait être que provisoire. On ne fait que vérifier l’adage bien connu que « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». On ne parle (presque) plus de crise, mais on continue à attribuer la montée du chômage à une « croissance » insuffisante. C’est une utopie. Il est de plus en plus évident que dans nos pays développés, la croissance sur le long terme ne peut être supérieure à 1,5%, niveau à peine suffisant pour absorber les effets sur l’emploi de l’amélioration naturelle de la productivité. Viser un niveau supérieur n’est pas réaliste ne serait-ce que pour des raisons écologiques.
On évoque aussi souvent comme cause du chômage le manque de compétitivité des entreprises françaises et la balance commerciale déficitaire. C’est en partie vrai, mais il ne faut pas se faire d’illusion : même si d’un coup de baguette magique nous revenions à l’équilibre de notre balance commerciale, nous réduirions, voire supprimerions provisoirement la croissance du chômage, mais nous n’attaquerions pas le noyau dur.
Pourquoi le chômage ne peut qu’augmenter si on ne change rien au temps de travail
1 – La question fondamentale que personne n’a posée depuis Jean Fourastié en 1963
En 1995 (il y a déjà plus de vingt ans !…), François Mitterrand a dit « en matière de chômage, on a tout essayé »….peut-être, mais on s’est bien gardé de se poser la question fondamentale: combien de temps l’homme doit-il travailler durant toute sa vie pour produire les biens et les services dont il aura l’usage. Cette question, Jean Fourastié se l’était posée dès 1963 dans un livre au titre resté célèbre, « les 40 000 heures », où il écrivait que dans un proche avenir, l’homme n’aurait plus besoin de travailler que 40 000 heures durant sa vie pour produire les biens et les services dont il aurait l’usage. Cette échéance faisait rêver et était envisagée comme un âge d’or….Nous en approchons et ne savons plus comment l’assumer !
Au XIXème siècle, au début de l’ère industrielle la durée du travail sur la vie entière était de 150 000 heures (50 ans de vie active, 3000 heures par an). Sous la pression du corps social, et surtout grâce à l’arrivée des nouvelles technologies, cette durée n’a cessé de se réduire malgré l’arrivée de nombreux produits nouveaux et l’explosion de la consommation. A la fin des « trente glorieuses », où le chômage était minimum elle n’était plus que de 100 000 heures environ (47 années de cotisation pour la retraite, 47 semaines de 48 heures par an). Aujourd’hui nous l’avons fixée arbitrairement à 66 000 heures (42 années de cotisation, 45 semaines de 35 heures par an).
Nous ne nous sommes absolument pas préoccupés de savoir si cette durée « réglementaire » correspond aux besoins de l’économie et répond à la question fondamentale ci-dessus….Notre unique préoccupation est la constitution de nos retraites. Pour maintenir l’équilibre des caisses de retraite par répartition, nous sommes prêts à accroître le nombre d’années de cotisation donc à allonger la durée du travail sur la vie entière. Autrement dit nous disons aux jeunes « attendez que nous ayons constitué nos retraites pour entrer sur le marché du travail ». C’est intenable et ne peut conduire qu’à une explosion de la misère dont les jeunes seront les premières victimes. Nous verrons plus loin que les mesures proposées pour résorber le chômage, tant par le patronat que par le gouvernement (et par ceux qui voudraient y parvenir) sont soit totalement inefficaces, voire contre-productives, soit dans le meilleur des cas très insuffisantes pour réduire vraiment le volume du chômage.
2 – Les deux erreurs de l’approche actuelle de la durée du travail :
Actuellement notre approche de la durée du travail est contradictoire: d’un côté nous voudrions allonger le nombre d’années de cotisation pour assurer l’équilibre des caisses de retraite, de l’autre nous voudrions réduire l’horaire hebdomadaire pour répartir l’activité sur un plus grand nombre d’individus. Ces deux approches sont l’une et l’autre à rejeter
– Augmenter le nombre d’années de cotisation ne serait efficace que dans un contexte de plein emploi, ce qui est loin d’être le cas. En réalité, le résultat dans le contexte actuel ne fera qu’augmenter le chômage, non seulement des seniors, mais aussi des jeunes qui devront attendre que les seniors aient accompli leurs années légales de cotisation. Celui qui perds son emploi passé la cinquantaine n’a souvent que très peu de chances d’en retrouver un, et il ira grossir les rangs des chômeurs jusqu’à ce qu’il puisse percevoir sa retraite, même si, pour la beauté des statistiques, on le dispense de rechercher un emploi et on le retire des chiffres du chômage.
– Réduire la durée hebdomadaire du travail : Est-il besoin de revenir sur la nocivité économique d’une telle mesure, comme l’a été la loi dite « des 35 heures ». La désorganisation de nombreuses entreprises, particulièrement des petites, et même de certains services publics, qui en a été la conséquence, a été manifeste. L’effet sur les prix de revient des entreprises, aggravé par la compensation salariale intégrale prévue par la loi, a entrainé une perte de compétitivité dont nous ne nous sommes pas encore relevés. Personne n’a évoqué le fait qu’en dehors même des coûts salariaux, la gestion du personnel coûte cher et augmenter les effectifs en réduisant l’horaire hebdomadaire nuit à la compétitivité de l’entreprise, en augmentant ses coûts de personnel même si on ne compense pas sur les salaires la réduction d’horaire. Faire travailler 110 salariés en réduisant l’horaire quand on peut obtenir la même production avec 100 sans le réduire est une perte pour l’entreprise et nuit à sa compétitivité.
Les partisans de cette solution n’ont en général aucune expérience de l’activité industrielle. Plus l’entreprise est petite, plus les problèmes posés sont insolubles, car les fonctions des uns et des autres ne sont pas fongibles, particulièrement chez les artisans et dans les petites entreprises. De plus le maintien du salaire associé à la réduction d’horaire lors de la loi des 35 heures a entraîné une augmentation importante des coûts salariaux qui a contribué à détruire la compétitivité des entreprises. Rappelons-nous qu’avant la loi des 35 heures, les coûts salariaux allemands étaient supérieurs aux nôtres, et que depuis ils sont devenus inférieurs….Au début de l’application de cette loi, des emplois ont pu être créés dans quelques grandes entreprises, mais peu de temps après, les effets négatifs se sont fait sentir et de nombreuses petites entreprises ont dû réduire leur activité, ou fermer, ou, ce qui est aussi grave sur le plan de l‘emploi, ne pas être créées. Le bilan sur les emplois est très négatif sur le long terme. Quant à la compétitivité à l’exportation, elle a été fortement atteinte et les « larmes de crocodile » que versent les politiques sur celle-ci n’y changeront rien. Si une entreprise doit employer du personnel supplémentaire en réduisant l’horaire de travail pour faire le même volume de production, ses coûts de gestion du personnel vont augmenter même si la réduction du temps de travail n’a pas été compensée sur les salaires. Et si elle conserve le même niveau de personnel et réduit son horaire hebdomadaire, sa production va diminuer et ses investissements seront moins bien utilisés. Un autre grave reproche que l’on peut aussi faire à cette loi dite « des 35 heures » et d’avoir tué toute autre idée de recherche d’un autre mode plus intelligent de répartition de l’activité salariée: quand on donne une réponse stupide à une bonne question, on tue la question.
Il est vrai que certaines entreprises ou certaines activités peuvent s’accommoder sans dommage d’une durée hebdomadaire de 35 heures ou moins. C’est la généralisation de cette durée à toutes les activités qui doit être rejetée.
3 -Les réserves de suppression d’emploi:
Il y a tout d’abord l’amélioration « naturelle » et continue de la productivité. Depuis que l’homme est sur terre, il a toujours cherché à diminuer les efforts nécessaires pour obtenir un résultat donné. Cet effort s’est accentué avec l’ère industrielle et une entreprise qui n’améliore pas sa productivité est condamnée à disparaître, ne serait-ce que par le jeu de la concurrence. N’oublions pas que c’est cette amélioration continue qui a entrainé le développement de la consommation et l’amélioration fantastique du niveau de vie des pays développés.
La pression sociale pour réduire la durée du travail a longtemps permis de garder le plein emploi en développant les congés et en réduisant les horaires hebdomadaires. On arrive maintenant là aussi à une limite, largement dépassée avec les « 35 heures » hebdomadaires qui ont désorganisé le fonctionnement des entreprises et de nombreux services publics, et dont le résultat pratique pour les salariés a été une augmentation du nombre des jours de congés (que les salariés ne demandaient pas), baptisés dorénavant RTT.
Quand un opérateur réussit à gagner du temps sur l’exécution d’une opération, on le félicite, mais quand une entreprise doit diminuer ses effectifs suite à des améliorations de productivité, elle est vouée aux gémonies ….. Pourquoi ce qui est une prouesse à l’échelon individuel deviendrait une faute grave au niveau collectif ?
L’arrivée des nouvelles technologies (vapeur, puis pétrole, électricité, électronique, robotisation, informatique….) a entrainé à la fois la création d’innombrables produits nouveaux, et en parallèle la diminution du temps de travail nécessaire à leur fabrication. Après une longue période où les améliorations de productivité étaient largement compensées par l’arrivée de produits de consommation nouveaux, par l’augmentation spectaculaire de la consommation et du niveau de vie, et par l’aspiration des salariés aux loisirs nous arrivons maintenant à un plafonnement de cette compensation. Les produits nouveaux créés sont de plus en plus immatériels et demandent de moins en moins de travail. Fabriquer l’original d’un DVD musical demande du travail, en fabriquer un million en demande très peu….de même pour un logiciel. A titre d’exemple récent l’arrivée de l’impression en 3D va aussi supprimer beaucoup d’emplois. Elle va toucher la fabrication des prototypes qui demandait jusqu’à présent un temps de travail important. Une récente étude a montré que le prix des moteurs de la fusée Ariane allait être divisé par dix grâce à la nouvelle technologie 3D. Les applications de la robotique ou de l’intelligence artificielle vont sans doute supprimer aussi de nombreux emplois.
La prolongation de la durée de vie de nombreux produits est inévitable pour des raisons écologiques : les matières premières nécessaires à la fabrication de ces produits se raréfient et l’énergie que cette fabrication demande devra aussi satisfaire les engagements d’économie d’énergie pris par la plupart des pays. Il est très probable que « l’obsolescence programmée » récemment mise en évidence sur certains matériels d’usage courant vit ses dernières années. Les produits durant plus longtemps, on en consommera moins, et par voie de conséquence le volume de travail nécessaire à leur fabrication diminuera. Bien sûr, la remise en état pour prolonger leur durée de vie créera des emplois, mais dans de bien moindres proportions que la prolongation de leur durée de vie n’en supprimera.
On a longtemps cru et proclamé que le progrès technique créait autant d’emplois, voire plus, que ceux qu’il supprimait, car la fabrication des robots demandait du travail. L’observation des chiffres montre à l’évidence que cette affirmation ne se vérifie pas sur le long terme. C’est tout à fait logique car on ne voit pas quel serait l’intérêt d’investir dans des robots s’il n’y avait pas de réduction du coût de la main d’œuvre à la clef.
L’appropriation directe par les individus de certaines activités (transports de personnes, logement occasionnel…) grâce à internet (ce que l’on appelle souvent « l’ubérisation » de l’économie) contribuera aussi à réduire le nombre d’heures salariées (donc la DOSTALE). Mais la précarité des emplois créés dans ce cadre fait qu’ils resteront encore longtemps relativement marginaux. Les syndicats commencent à s’y intéresser pour les « réglementer » et les rapprocher le plus possible du salariat.
Rappelons aussi que la démarche d’investissement a presque toujours, en dehors du renouvellement du matériel usagé ou obsolète, ou de la fabrication d’un nouveau produit , deux objectifs principaux souvent recherchés simultanément :
– soit améliorer la productivité pour rester compétitif sans augmenter le volume produit si le marché ne le permet pas: le résultat est évidemment une diminution de l’emploi.
– soit augmenter la capacité de production, pour répondre à une demande croissante ou en attaquant la concurrence. Or la demande croissante de produits nouveaux a atteint elle aussi un plafond, ne serait-ce que pour des raisons écologiques.
On se réjouit bien souvent quand on apprend que des emplois sont créés, sans trop se soucier des conséquences indirectes sur les autres emplois: par exemple, implanter une grande surface va générer des emplois, mais si l’on tient compte des nombreux petits commerces locaux qui devront fermer, le bilan sur l’emploi est nettement moins bon quand il n’est pas carrément négatif.
Beaucoup de produits dits nouveaux ne sont que des versions améliorées de produits existants et les prétendues nouveautés ne sont là que pour attirer le client (voir par exemple le cas de nombreux produits alimentaires….) mais on peut penser que celui-ci, mieux informé par les nombreux organismes de défense du consommateur, deviendra plus intelligent et méfiant. Il est probable qu’à terme relativement court, les trois premières lettres du mot consommateur ne suffiront plus à le caractériser comme cela a été le cas pendant longtemps et l’est encore souvent actuellement !
Il y a encore beaucoup d’autres sources de suppressions d’emploi. Nous n’avons encore pas vu le plein effet d’internet sur l’emploi : au fur et à mesure des années, la commercialisation des produits et des services demandera de moins en moins de main d’œuvre. Déjà les magasins « drive » se multiplient, les banques ouvrent des agences virtuelles où toutes les opérations se font par internet. Les amateurs de voyage s’organisent seuls sur leur écran et obtiennent souvent des conditions de prix meilleures qu’en passant par une agence. Les caisses de supermarché sont en partie remplacées par des caisses automatiques, etc.
Les créations de services nouveaux ont bien sûr créé beaucoup d’emplois (souvent peu qualifiés…), mais on n’invente pas la livraison de pizzas à domicile tous les mois. Dans un autre secteur, le « faites le vous-même » et le développement de nombreuses grandes surfaces de bricolage a supprimé de nombreux emplois d’artisans.
Le vieillissement de la population, n’augmentera pas vraiment les besoins en produits de consommation : ce n’est au grand âge que l’on change souvent de voiture, que l’on achète beaucoup de vêtements pour suivre la mode, ou le dernier gadget électronique….seule la consommation de médicaments sera en augmentation, et encore, car le récent développement des « médecines douces » et la découverte des effets secondaires de nombreux traitements risquent de réduire la consommation des médicaments « chimiques ».
4 – Les sources de création d’emplois
Face à ces facteurs de diminution de l’emploi, il y a bien sûr quelques sources de création : la récupération de produits réparables que l’on avait tendance à jeter, le recyclage des matières. Le développement des services à domicile, type « livraisons de pizzas ». Le transport et la livraison de produits commandés sur internet génère aussi des emplois, compensés en partie ou totalement par la fermeture des commerces traditionnels. Le vieillissement de la population engendré par l’accroissement de la durée de vie développera les besoins de soins aux personnes âgées.
De nombreuses entreprises exploitant les possibilités d’internet se créent tous les jours (domaine souvent qualifié de « nouvelle économie »). Elles emploient en général très peu de personnel, et ont fréquemment des conséquences négatives sur les activités et les emplois traditionnels.
Le bilan global de tous ces facteurs est de toute évidence négatif pour l’emploi.
5 – Les différents moyens proposés jusqu’à présent pour résorber le chômage
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La formation
La formation permet à un plus grand nombre d’individus d’être capables de trouver un emploi. Autrement dit la formation mets plus de coureurs sur la ligne de départ de la course à l’emploi, mais il n’y en aura pas plus à l’arrivée. Elle ne crée par elle-même aucun emploi (sinon des emplois de formateurs). Et pourtant il faut former le maximum de gens pour que les entreprises trouvent le personnel dont elles ont besoin. En principe une formation bien adaptée devrait permettre de réduire le nombre d’offres d’emploi non satisfaites. On constate toutefois que le volume de celles-ci sur le long terme est quasiment stable. La réduction du nombre de chômeurs suite à des actions de formation existe mais ne représente pas grand-chose en regard du nombre total de chômeurs. Même si on arrivait à réduire à néant le nombre d’offres d’emploi non satisfaites, l’effet sur le nombre total des chômeurs serait limité (les offres d’emploi non satisfaites représentent moins de 10% du total du chômage) Par contre la formation est nécessaire pour la compétitivité des entreprises. En plus elle redonne espoir aux chômeurs qui se forment et leur fait prendre patience…espoir souvent déçu au moment de la recherche d’un véritable emploi ! Son principal avantage est politique : les chômeurs en formation étant sortis des statistiques du chômage, le nombre officiel des chômeurs diminue temporairement.
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la « création d’emplois »
On ne « crée » pas d’emploi. On crée des biens ou des services qui demandent du travail et donc créent éventuellement de l’emploi. Or nous avons vu que les créations de biens et de nouveaux services exigeant de la main d’œuvre sont très limitées. Les expériences faites de création d’emploi ex nihilo au cours de l’Histoire (Ateliers Nationaux, système communiste….) ont montré l’inanité de telles propositions qui s’apparentent souvent à la démarche du « sapeur Camembert ».
Ce n’est pas à l’Etat de fournir des moyens de subsistance, sauf dans des circonstances exceptionnelles et provisoires. C’est aux hommes et aux entreprises, et non à l’Etat, de créer des richesses. Mais c’est à l’Etat de mettre en place une organisation de la Société qui favorise la création des richesses par les entreprises et qui permette à chacun d’accéder équitablement aux richesses créées.
D’innombrables rapports, faits par des gens compétents, ont prôné des solutions souvent intelligentes. Tous avaient les mêmes caractéristiques, ils voulaient réduire le chômage uniquement en favorisant la création d’emplois. Ils ont été pour la plupart classés sans suite, mais de toute façon leur effet sur le chômage aurait été très insuffisant car ils n’abordaient pas la question fondamentale de la durée du travail sur la vie entière.
Nous ne ferons pas l’inventaire des différentes mesures appliquées depuis de nombreuses années par les gouvernements de toutes tendances pour favoriser la création d’emplois. Elles se sont toutes soldées par des échecs, après quelquefois un succès provisoire par effet d’aubaine. Souvent elles n’ont fait que déplacer le problème : en favorisant l’emploi des jeunes par la réduction des charges sur les salaires des jeunes on a augmenté le chômage des salariés âgés. Elles avaient surtout pour but de faire patienter en donnant l’impression de faire quelque chose pour l’emploi !
Il ne faut pas compter sur la « création d’emplois » ex nihilo pour résorber le chômage, même si quelques expériences isolées ont été faites avec un certain succès, toujours provisoire et non généralisable.
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la réduction généralisée de la durée hebdomadaire du travail (pour mémoire)
Nous venons de voir plus haut les raisons de la nocivité économique d’une telle mesure, comme l’a été la loi dite « des 35 heures ».Dans la plupart des cas la réduction généralisée de la durée hebdomadaire du travail nuit considérablement à la compétitivité des entreprises, donc finalement à l’emploi.
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l’amélioration de la compétitivité des entreprises
Une entreprise qui n’améliore pas sa productivité, donc sa compétitivité est condamnée à disparaître. La plupart du temps elle améliorera sa productivité en automatisant ou en trouvant de nouvelles méthodes de travail demandant moins de personnel. Cet effet négatif sur l’emploi sera compensé partiellement ou totalement par l’augmentation de son activité (si le marché le permet) On ne peut compter sur l’amélioration de la compétitivité pour réduire le chômage, mais si on ne l’améliore pas, l’entreprise disparaîtra et l’effet sur le chômage sera catastrophique. L’amélioration indispensable de la compétitivité ne réduit pas le chômage, mais elle limite dans une certaine mesure son accroissement….sauf si l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise est obtenue par la délocalisation des activités vers des pays à la main d’œuvre moins coûteuse et à la réglementation moins contraignante.
On ne peut compter sur l’amélioration de notre balance commerciale pour résorber le chômage : il faudrait pour résorber le chômage avoir un tel excédent de notre balance commerciale que c’est irréaliste. Même si nous en étions capables nos partenaires ne l’accepteraient pas. Déjà des voix s’élèvent au niveau de l’Europe contre l’attitude de l’Allemagne qui en ayant une balance commerciale très excédentaire, exporte du chômage.
Commençons par retrouver l’équilibre de nos échanges commerciaux en améliorant suffisamment notre compétitivité : cela sera déjà une belle performance. Même si cela a une influence limitée sur le volume du chômage, cela freinerait sa progression.
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La réduction des dépenses publiques
Tout le monde est d’accord pour dire que les dépenses de l’Etat sont excessives, car les charges qu’elles font peser sur les entreprises freinent leur activité et leur compétitivité. Les avis divergent sur la façon de les réduire. Chacun sait que l’essentiel des dépenses concerne les frais de personnel. La réduction de celles-ci ne peut s’obtenir que par une réduction des effectifs, principalement des fonctionnaires. Cela ne créera pas directement des emplois, au contraire.
Il ne s’agit pas, comme le craignent les opposants à cette mesure, de réduire les effectifs de terrain, souvent insuffisants, des fonctions régaliennes (enseignement, police, justice…) mais d’alléger les administrations de ces fonctions et d’une façon plus générale du fonctionnement de l’Etat. Rappelons-nous que la France a environ un million de fonctionnaires en excédent par rapport à la moyenne des pays de l’Europe….
Cette mesure devra être associée à une simplification des procédures administratives. On s’aperçoit en effet que l’empilement des textes règlementaires entraine une organisation très complexe de l’administration et des services publics et nécessite des effectifs importants. On ne compte plus les échelons de responsabilité qui se chevauchent, les règlements redondants, les décisions qui ne sont jamais prises parce que dépendant de services « concurrents », ou simplement bloquées par un service qui veut montrer son pouvoir et justifier son existence.
Comme l’œuf et la poule, on ne sait plus si c’est la réglementation qui a entrainé l’accroissement du nombre de fonctionnaires, ou si c’est l’effectif pléthorique de ceux-ci qui engendre une réglementation excessive et paralysante. La réduction des effectifs de fonctionnaires a quelque chance d’avoir un impact positif sur les réglementations, sur le fonctionnement de la Société et sur la gestion des entreprises (donc sur leur compétitivité). Mais cette réduction n’entrainera directement aucune réduction du chômage.
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La croissance
(voir aussi plus haut le § « les fausses explications du niveau actuel du chômage »)
Une croissance forte des besoins en produits matériels pourrait si elle était possible maintenir le niveau de la DOSTALE. Or il est évident, ne serait-ce que pour des raisons écologiques, que dans tous les pays développés cette croissance présentée souvent par les politiques comme la seule solution au problème du chômage ne peut guère dépasser 1 à 1,5 % chaque année. Ce chiffre est très insuffisant pour réduire le chômage, puisqu’il suffit à peine à compenser les progrès « naturels » de productivité.
Et pourtant la plupart des propositions faites pour résorber le chômage s’appuient sur le dogme de la croissance : il est urgent de prendre conscience que compter sur la croissance pour résorber le chômage est une utopie. Tout au plus une croissance stabilisée vers les 1 à 1,5% permettrait de limiter provisoirement l’accroissement du chômage, voire de le stabiliser , mais ne pourra pas le résorber. Les politiques qui promettent la suppression du chômage par la croissance sont soit incompétents soit malhonnêtes. Nous voyons là une faille grave de notre système économique : alors que nous prenons peu à peu conscience des limites de la planète « Terre » au niveau des ressources et de la nécessité de maîtriser et même de réduire notre consommation de matières premières et d’énergie, nous sommes incapables d’avoir une économie équilibrée en l’absence de croissance : Nous sommes sur une bicyclette qui devrait toujours augmenter sa vitesse pour tenir en équilibre !
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Les associations d’aide aux chômeurs et les expérimentations locales d’emploi des chômeurs
Ces nombreuses associations (gérées la plupart du temps par des bénévoles) font un excellent travail en remettant dans le circuit des chômeurs découragés et en les accompagnant pour les aider à devenir employables. Mais au final elles ne créent pas d’emplois, et ont le même résultat que la formation professionnelle : mettre plus de candidats valables sur la ligne de départ de la course à l’emploi, sans changer leur nombre à l’arrivée. Néanmoins elles sont très utiles car elles aident les chômeurs à supporter leur état en leur redonnant de la dignité et de l’espoir (espoir souvent déçu en fin de parcours).
L’expérience des territoires « zéro chômeur de longue durée », soutenue par ATD Quart Monde est intéressante mais là aussi aura des effets très limités. De même les échanges d’heures d’activité sans argent (exemple des Accorderies) ne concerneront qu’une partie infime de la population.
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Autres mesures réalisées ou préconisées
Citons-les pour mémoire : rendre le travail plus attractif, contrôler la recherche d’emploi, lutter efficacement contre la fraude et les abus, réduire les charges sociales sur les salaires de certaines catégories de chômeurs, aider à la réinsertion des chômeurs de longue durée, etc.
Aucune de ces mesures n’est véritablement créatrice d’emplois. Elles ne font pour la plupart que soit déplacer le problème d’une catégorie à l’autre, soit limiter certains abus, soit créer des effets d’aubaine.
Conclusion de la première partie : nous allons dans le mur
Un certain nombre de mesures proposées par les entreprises ou les politiques peuvent avoir un effet positif sur l’emploi salarié et sur la situation économique du pays. Il est souhaitable de les mettre en œuvre le plus rapidement possible. Toutefois cette amélioration ne sera que temporaire et relativement marginale en regard des six millions de chômeurs (toutes catégories) que notre pays connait. Ces mesures ne feront « qu’égratigner » les chiffres du chômage sans attaquer le noyau dur, en endormant les français sur la réalité de la situation.
Le chômage constitue aussi un verrou à une politique de réforme des institutions et de la réglementation, souvent prônée avant les élections. En effet, la préoccupation première des français reste le chômage et l’inquiétude pour l’emploi de leurs enfants ou petits-enfants. Les réformes envisagées actuellement risquent d’être rejetées , car elles ne permettent pas d’espérer une diminution suffisante du chômage.
Les changements accélérés que nous vivons dans nos Sociétés ne peuvent se poursuivre en laissant de côté des fractions croissantes de la population. Il faut nous poser sans tabou la question : voulons nous permettre à chacun de s’intégrer normalement à la Société, en ayant accès non seulement aux richesses produites, mais aussi à leur élaboration, condition de sa dignité ? Ou préférons-nous qu’une partie de plus en plus importante de la population soit rejetée du marché du travail (en premier lieu les jeunes), et que l’autre partie se voit prélever une part de plus en plus importante de ses revenus pour que les exclus du marché du travail ne crèvent pas de faim.
La démocratie a devant elle au moins deux défis : assurer à chacun de ses membres des moyens d’existence en échange d’un travail, et faire en sorte que les inégalités de ressource ne s’étendent pas au-delà de certaines limites de décence. Elle a jusqu’à présent échoué sur ces deux aspects. Nous n’abordons ici que le premier aspect qui nous paraît le plus important. Si nous voulons éviter un cataclysme social, voire une remise en cause de la démocratie, il nous faut trouver une autre solution que celles que nous venons d’évoquer et qui sont notoirement insuffisantes pour régler le premier de ces défis. C’est ce que nous proposons dans la deuxième partie de ce document.
DEUXIEME PARTIE : Les propositions
Eliminons tout de suite le revenu universel sans l’accomplissement d’un travail, proposé par certains, qui ne respecte pas la dignité de l’homme et qui est une erreur économique, démagogique et politicienne.
Comment faire pour que tous aient réellement accès à une activité salariée
La durée du travail sur la vie entière
Revenons à la question de la durée du travail sur la vie entière. Pour la commodité de l’exposé, nous appellerons DASTALE (Durée Administrative du Salariat Tout Au Long de l’Existence) la durée fixée par la loi, soit 66 000 heures actuellement (42 années de cotisation, 45 semaines par an à 35 heures par semaine) et dont l’objectif essentiel est d’assurer l’équilibre des caisses de retraite. Nous appellerons DOSTALE (Durée Optimale du Salariat Tout Au Long de l’Existence) la durée théorique exigée par l’économie, celle répondant à la question fondamentale de Fourastié : combien de temps l’homme doit-il travailler durant toute sa vie pour produire les biens et les services dont il aura l’usage. Il est évident que si la DASTALE (durée imposée administrativement) est notablement supérieure à la DOSTALE (durée correspondant aux besoins réels de l’économie) l’écart entre les deux se traduit en chômage.
Principe de fonctionnement proposé :
Chaque citoyen se voit attribuer une DOSTALE lorsqu’il entre sur le marché du travail. Il pourra la répartir comme il l’entend sur la totalité de sa vie active. Il aura une priorité sur le marché du travail tant qu’il sera en dessous. Quand il aura réalisé sa Dostale, il pourra la dépasser mais se verra alors prélever rapidement une partie de plus en plus importante de son salaire, de façon à le démotiver de poursuivre son activité salariée.
On peut alors imaginer des rythmes de travail complètement différents d’un salarié à l’autre et pour un même salarié d’une période à l’autre et par là-même une beaucoup plus grande liberté de choix de vie.
Certaines activités peuvent s’accommoder d’une durée hebdomadaire de travail de moins de 35 heures par semaine, et permettent par exemple de réaliser sa Dostale en travaillant 45 ans sans discontinuer. Ce sont par exemple les activités administratives ou nécessitant peu d’investissements :
Certains salariés préfèreront exécuter la totalité de leur Dostale le plus rapidement possible pour réaliser ensuite d’autres projets de vie que leur activité salariée.
Certains salariés qui ont des activités saisonnières pourront adopter des rythmes de travail très différents selon la période de l’année.
Certains salariés pourront plus facilement interrompre leur activité salariée pour réaliser des projets personnels et la reprendre ensuite sachant qu’ils pourront retrouver aisément un emploi salarié dans un marché du travail équilibré, tant qu’ils n’ont pas accompli leur Dostale.
Les mères (et les pères) de famille pourront plus aisément interrompre leur activité salariée pour se consacrer à leurs enfants pendant leurs premières années, en sachant qu’ils pourront ensuite retrouver aisément un emploi et ne pas être défavorisés comme actuellement. De même certains salariés pourront interrompre provisoirement leur activité salariée pour se consacrer à un parent vieillissant, malade, dépendant ou handicapé.
Les entreprises pour qui le départ d’un salarié ayant une spécialité irremplaçable serait catastrophique pourraient le conserver quelque temps. en payant à sa place les charges sociales exigées pour le dépassement de la Dostale.
Les salariés qui se sentiraient incapables de quitter leur activité salariée (les « drogués du boulot ») pourraient continuer au-delà de la Dostale mais leur rémunération serait fortement réduite par les charges prévues pour dépassement de la Dostale et leur activité salariée ne leur rapporterait presque plus rien.
Conséquence pour le système de retraite
On voit tout de suite que si l’on conserve le système actuel de retraite par répartition, la réduction de la durée du travail sur la vie entière conduirait à des prélèvements obligatoires de plus en plus élevés pour les retraites. On atteindra à ce moment des niveaux inacceptables pour un prélèvement obligatoire et collectif. Cela imposera de remplacer le prélèvement obligatoire et collectif par une épargne individuelle et volontaire. Cela condamne donc à terme relativement court le système actuel de retraite par répartition
Il faudra alors passer à une épargne individuelle et volontaire pour constituer sa retraite (sauf une allocation de base uniforme comme nous le verrons plus loin), comme cela se faisait autrefois, en particulier dans le monde agricole et chez les commerçants, où il était d’usage « d’épargner pour ses vieux jours ».
Cet abandon de la retraite par répartition était largement prévisible et aurait dû être préparé dès la création de ce système de retraite. En effet son équilibre est basé sur une croissance indéfinie du nombre de salariés. C’est en fait une variante de « chaine du bonheur », lesquelles sont interdites en France ! Pendant longtemps il y a eu 4 actifs pour un retraité….nous en serons bientôt à 1,3 actifs pour un retraité, ce qui, associé à l’allongement de la durée de vie, explique la pression actuelle pour reculer l’âge de la retraite et montre bien que l’avenir de la retraite par répartition n’est pas assuré.
L’ approche individuelle proposée donne beaucoup plus de liberté aux individus : au cours de notre vie, nous avons des périodes où les besoins sont maximums, d’autres ou il est plus facile d’épargner. Chacun pourra décider du niveau d’épargne sur son salaire, donc de son niveau de retraite. Les sommes épargnées pour la retraite seraient défiscalisées.
Influence sur les revenus
Bien sûr la limitation de la durée du travail salarié sur la vie entière entrainera pour les salariés qui actuellement ne risquent pas le chômage et qui font leur Dastale au niveau actuel, donc beaucoup plus que la Dostale , une diminution apparente de leurs ressources. Ceci concerne en premier lieu les fonctionnaires dont l’emploi est garanti à vie. Cela concerne aussi les salariés de certaines entreprises ou structures où l’emploi est quasiment garanti à vie, et les salariés ayant des spécialités très recherchées et qui ne craignent pas le chômage. Néanmoins cette diminution des ressources sera en grande partie compensée car les prélèvements qui financent actuellement le chômage seront considérablement réduits. De même les prélèvements obligatoires pour les retraites par répartition seront supprimés et remplacés par de l’épargne volontaire. Un tel choix ne devrait pas réduire le PIB du pays, donc l’ensemble des ressources, mais simplement les répartir plus équitablement.
Que se passe-t-il hors de la période d’activité salariée ?
Une allocation (égale pour tous) serait versée à tous les citoyens qui seraient hors activité salariée, soit parce qu’ils ont terminé d’effectuer leur Dostale, soit parce qu’ils sont entre deux périodes d’activité salariée, Cette allocation (que nous appellerons RHAS -Revenu Hors Activité Salariée) serait la même pour tous, avec toutefois plusieurs niveaux (voir le § suivant). Elle remplacerait toutes les allocations existantes et en particulier les allocations de chômage et de retraite.
Il ne s’agit en aucun cas d’une transposition du « revenu universel » sans condition de travail salarié que proposent certains politiques. Ce RHAS ne serait versé qu’aux personnes ayant déjà eu une activité salariée (sauf peut-être pendant un temps limité pour les jeunes à la recherche d’un premier emploi). La dignité que donne l’accomplissement d’une activité salariée serait préservée. L’espoir d’améliorer sa situation serait maintenu et la motivation pour faire des études également. Les ressources pendant les périodes hors activité salariée (y compris pendant la retraite) seraient composées de l’allocation RHAS et de l’épargne réalisée pendant les périodes d’activité salariée.
Autres conséquences sur l’activité humaine : Une nouvelle forme d’activité
Les activités humaines sont illimitées, ce sont les activités dites «marchandes » qui sont limitées. Ce sont celles qui créent des richesses négociables. On peut y ajouter celles qui tout en ne créant pas directement des richesses, sont indispensables au bon fonctionnement de la société et à la création des richesses : ce sont par exemple les fonctions dites régaliennes (police, justice, armée, enseignement, etc.). En gros la nature des activités salariées qui seraient incluses dans la Dostale ne changerait pas fondamentalement par rapport à la situation actuelle
Les autres activités vont de l’activité de pur loisir (type « pêche à la ligne ») aux activités socialement utiles : aides aux personnes âgées, animations de mouvement de jeunes, fonctionnement des communes et de nombreuses structures tenues par de bénévoles, accompagnement des exclus de la société, accueil des migrants, des jeunes, associations à but social, sportif, environnemental, culturel, etc. Certaines de ces activités sont rémunérées quand elles sont considérées comme indispensables à la vie en société, ou qu’elle sont financées par les cotisations des membres ou des subventions, d’autres sont assurées par des bénévoles. Il y a là un besoin « d’énergie humaine » inépuisable. Combien de fois entendons-nous devant des services pourtant indispensables mais non assurés « il faudrait quelqu’un, mais nous n’avons pas les moyens de le payer » ? Combien d’organismes humanitaires sont à la recherche de bénévoles et ne les trouvent pas ?
Face à ces besoins, l’application proposée de la Dostale va libérer des énergies humaines en grande quantité. Quand les salariés auront accompli leur Dostale, ou qu’ils voudront l’interrompre, ils seront libres de choisir le type d’activité , non salariée mais donnant lieu au versement du RHAS, qui leur conviendra. D’autre part, le temps perdu actuellement à la recherche d’emploi devrait être considérablement réduit dans un marché du travail redevenu équilibré et fluide. Ainsi cela libérerait de nombreuses énergies actuellement gaspillées dans la recherche stérile d’emploi.
On pourrait alors prévoir plusieurs niveaux pour le RHAS : un niveau de base pour ceux qui souhaiteraient consacrer leur temps libéré à des activités purement personnelles ou de loisir, et un niveau plus élevé pour ceux qui se consacreraient à des activités utiles à la collectivité.
Cette approche aurait de multiples avantages :
L’épanouissement des citoyens ne serait pas limité à l’aspect professionnel traditionnel. Il y a dans les associations et les organismes culturels, sportifs, caritatifs, etc. de nombreuses activités permettant un épanouissement certain et permettant d’utiliser son énergie et ses compétences. De nombreux salariés occupés à des tâches d’exécution monotones et sans beaucoup d’intérêt trouveraient là l’occasion de s’épanouir et d’exprimer leur dynamisme et leur créativité, voire de réaliser leurs ambitions, au service de la collectivité.
Le RHAS ne serait pas un salaire, mais un revenu forfaitaire, identique pour tous.
Un grand nombre de tâches actuellement non réalisées faute de moyens pourraient l’être. Cela motiverait les citoyens pour exécuter ces taches utiles à la collectivité, actuellement réalisées par des bénévoles en nombre insuffisant ou la plupart du temps non réalisées. On créerait ainsi une nouvelle forme d’activité qui ne serait ni du bénévolat ni de l’activité salariée.
Notre vie aurait ainsi trois étapes à répartir au cours de notre vie biologique, (après bien entendu une première étape d’éducation)
-une étape « productive » pendant laquelle nous exercerions une activité salariée : c’est pendant cette étape que nous chercherions à « gagner » le plus d’argent possible.
– une étape « altruiste » pendant laquelle nous exercerions une activité utile à la collectivité dans le domaine de notre choix.
-une étape « personnelle » occupée à des tâches personnelles de loisir ou de famille.
Autres conséquences
On voit tout de suite que l’approche proposée entrainerait un bouleversement dans l’organisation actuelle de la vie en Société et de la législation, en particulier du Code du Travail. Il n’est pas question d’analyser ici les modifications à faire. Contentons-nous de lister les grands chapitres à revoir : les différents contrats de travail, les règles concernant les licenciements, les règles concernant le temps de travail, les heures supplémentaires, l’âge de la retraite (qui ne serait plus un âge « couperet ») etc. Ce serait l’occasion de faire une vraie refonte du code du travail, souvent considéré actuellement comme un frein à l’emploi et aux performances des entreprises. Accessoirement, la dispersion des rythmes de travail entrainerait probablement un étalement des déplacements professionnels et une réduction des encombrements routiers, car moins de personnes exerceraient simultanément une activité salariée, génératrice de déplacements.
Conclusion et perspectives
Il ne s’agit pas ici de proposer une solution « clefs en main » mais plutôt des pistes de réflexion et d’action. Les approches proposées impliquent des bouleversements importants de nos modes de pensée. Il faudra pour s’engager sur ce terrain des hommes politiques d’un grand courage et qui n’auront pas peur des réactions politiques ou syndicales, au début forcément négatives.
L’approche proposée va sans doute provoquer un tollé… car elle remet en cause des certitudes ancrées dans les esprits depuis longtemps. Mais on voit mal comment l’éviter si on veut avoir une organisation de la Société viable, capable de permettre à chacun de vivre (et pas seulement de mourir !) dans la dignité, et prête à absorber les futures diminutions du temps de travail qui s’annoncent pour l’avenir. Ce n’est pas à l’Etat de fournir les moyens de subsistance, mais c’est à l’Etat de mettre en place les conditions qui permettent à chacun de vivre et de travailler dans le cadre général des institutions.
Nous n’avons fait reposer nos idées que sur le cas de la France. Le problème de l’emploi touche à des degrés divers tous les pays développés, même si pour diverses raisons quelques pays apparaissent pour l’instant relativement épargnés par le chômage. Tôt ou tard tous les pays développés devront faire face à ce problème. C’est un nouveau défi pour nos démocraties.
Volontairement nous n’avons pas voulu chiffrer les options proposées. Il est probable que nous ne sommes pas encore aux 40000 heures de Fourastié, mais nous sommes surement très en dessous des 66000 heures que nous imposent les caisses de retraite.
Nous espérons avoir convaincu le lecteur de quatre réalités :
- La durée du travail sur la vie entière a toujours diminué et continuera à diminuer.
- Il faut essayer de répartir équitablement entre les citoyens l’activité salariée si l’on ne veut pas d’une société où une partie croissante de la population vivra uniquement de l’argent prélevé aux salariés et aura perdu sa dignité. Le « droit au travail » souvent évoqué n’a de sens que si l’organisation de la Société permet de fournir une activité salariée à tous.
- Il ne faut pas que cette répartition nuise à la création de richesses, donc au PIB, comme le ferait de toute évidence une réduction généralisée et importante de la durée légale hebdomadaire du travail.
- Aucune des solutions proposées jusqu’à présent (et en particulier la recherche d’une croissance mythique) n’est satisfaisante.
La mise en place d’une telle approche sera très difficile. Personne n’a encore eu le courage de la proposer. Il est pourtant urgent d’au moins lancer le débat …..
Essai rédigé en mars 2017