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I – Recherche d’une situation
Sortant de l’Ecole des Mines de Paris en 1928 avant de faire onze mois de service militaire en qualité d’E.O.R. à Saint-Maixent et de sous-lieutenant de Transmissions à Versailles et Angoulême, j’ai cherché une situation comme tous mes camarades.
Par goût, je me tournais vers la chimie et la métallurgie. Pendant mon séjour à l’Ecole, j’avais fait des recherches sur les alliages ferreux et l’analyse micrographique des fontes et des aciers. Le directeur des travaux pratiques, Mr CHAUDRON, m’encourageait à faire un doctorat ès-sciences (le diplôme des Mines donnait pour cela l’équivalent de la licence) mais il fallait que je fasse deux années de faculté et de stage au laboratoire de l’Ecole.
Cela entraînait de gros frais et je trouvais que mes parents avaient fait assez de sacrifices pour moi. Mon père qui avait fait ses études de droit avait vu sa situation à Bordeaux ruinée par la guerre de 1914-1918. Il avait alors décidé de se replier à la Touche pour s’occuper avec mon grand-père des trois petites propriétés et des métayers qui les cultivaient. Je voulais donc gagner ma vie le plus vite possible et j’abandonnais le projet de poursuivre mes études. J’avais fait, pendant mon séjour aux Mines, deux années de droit à l’aide de cours écrits, mais n’avais pas eu le temps de passer la licence.
Je prospectais donc les situations offertes à l’Ecole. Elles étaient assez nombreuses, mais généralement peu rémunérées, car destinées à des débutants: en chimie 8 à 900 francs par mois comme aux chemins de fer, 1.000 francs dans l’industrie mécanique, électrique et automobile. Par contre, à l’étranger, principalement aux colonies, elles paraissaient nettement plus avantageuses: 1.500, 2.000 F. et même plus. Je demandais conseil à mon parrain, Daniel PARANTEAU, qui avait été mon correspondant lors de mon passage à Sainte-Geneviève et que je voyais assez souvent. Il était, alors, directeur général de la Métropole, compagnie d’assurances absorbée depuis par les Assurances Générales de Paris, et avait dans son conseil d’administration Mr. TAFFANEL directeur général de la Compagnie Métallurgique Chatillon, Commentry, Neuves-Maisons qui était ce que l’on appelait à l’époque « maître de forges », A la demande de mon parrain, il m’a très aimablement reçu, m’a décrit la vie d’un ingénieur métallurgiste à Isbergues dans le Pas-de-Calais et m’a offert de me prendre en stage, mais en me conseillant de bien réfléchir avant de me décider. J’étais alors tenté par une offre venant d’Extrême-Orient et encouragé dans cette voie par un cousin éloigné, Henri Guérin (petit-fils de Madame JEAN née PARENTEAU de Louzignac) originaire de Thors, lui-même ingénieur des Mines de Paris (sorti en 1925 année de mon entrée) et faisait une carrière aux Charbonnages de Dong-Trieu, dans la baie d’Along au Tonkin. Il est mort en 1930 au cours d’une ascension de la Barre des Ecrins pendant un congé.
Je parlais de tout cela à mon parrain qui me déconseilla fortement un départ lointain; il n’était pas encore question de liaisons aériennes à longue distance.
Il me fit alors part d’une conversation qu’il avait eue avec un autre de ses administrateurs: Mr. VANDIER. Celui-ci était administrateur-délégué de la Manufacture Française de Tapis et Couvertures qu’il dirigeait avec le président-fondateur Mr. Lucien LAINÉ et un industriel du Nord, autre administrateur-délégué, Mr. WATTEL.
Monsieur LAINÉ avait fondé la M.F.T.C. en 1919 en fusionnant son affaire personnelle assez importante avec deux entreprises plus petites, celles de MMrs. VANDIER et WATTEL. En 1922 le groupe ainsi constitué avait absorbé la filature DECONINCK de Tourcoing.
Vers I925 la M.F.T.C. fut admise à la Cote officielle de la Bourse de Paris. En I929, elle était en pourparlers avec un industriel de Beauvais, Mr. COMMUNEAU, ingénieur de Centrale, qui possédait une fabrique de couvertures et molletons de laine datant de I839. Cette affaire était en difficulté car elle ne s’était pas modernisée et il y avait beaucoup trop de frais généraux. Pendant son passage à Centrale, Mr. COMMUNEAU avait été champion de France du I00 mètres, 22 fois international de rugby et capitaine de l’équipe de France. C’était un sportif de poids (plus de I00 kilos).
La M.F.T.C. venait de traverser, depuis sa création, une période d’expansion très forte et jouissait auprès du marché financier d’une excellente réputation.
Très fortement exportatrice (plus de la moitié de son chiffre d’affaires en une cinquantaine de pays), sept usines de production et un siège commercial à Paris: I6 avenue de Messine, elle avait grandi trop vite et ses résultats ne correspondaient plus au montant de ses ventes, De plus, il y avait dans le monde une certaine inquiétude qui devait se traduire par les jours « noirs » de I929 qui virent l’effondrement de la Bourse de New-York entraînant une crise mondiale.
Messieurs LAINE et VANDIER, sentant la gravité de la situation, avaient fait appel à un organisateur-conseil savoyard, Mr. GODDARD qui demandait l’embauche d’un ingénieur sortant d’une grande Ecole pour l’aider dans la réalisation de ses projets,
En me faisant part de cette conversation avec Mr. VANDIER, mon parrain me proposa de m’introduire auprès de lui et me conseilla, si on me proposait ce poste, d’accepter, en me disant: « Tu ne risques rien, car on te proposera un stage d’un an; tu apprendras sur le tas ce qu’est une usine, tu n’auras pas de responsabilité directe sur le personnel, mais tu verras les problèmes que pose une réorganisation et les moyens que l’on doit employer pour les résoudre. De plus, on te proposera probablement I500 francs par mois, ce qui n’est pas négligeable, et, au bout d’un an, tu verras bien ».
Je suivis ce conseil et c’est ainsi que le 2 ou le 3 novembre après mon service militaire et quelques jours de vacances, je me présentais à Beauvais, usine la plus importante du groupe et où sévissait Mr. GODDARD.